Patrick Rose, spécialiste en communication auprès du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) en Afrique de l’ouest et du centre, vient de participer à une étude sur la migration dans cette espace du continent africain. Rendu public ce 5 juillet, le rapport qui en est issu aborde la problématique de la migration avec un regard relativement nouveau. D’abord, les résultats battent en brèche les informations qui voudraient que les migrants africains courent exclusivement vers l’Europe, perçue comme un eldorado. Ensuite, il en ressort que les raisons susceptibles d’expliquer cette crise migratoire ne sont pas aussi uniformes qu’on voudrait le faire croire. Enfin, on apprend de cette étude que les enfants représentent 60 % des migrants africains. Ce qui n’est pas sans risques bien entendu. Aussi, avec Patrick Rose, nous abordons dans cet entretien les défis et les esquisses de solution d’un fléau qui peut-être n’en qu’à ses débuts.
Votre rapport, vous l’avez intitulé ‘’A la recherche d’opportunités’’. Alors dites-nous, sur la base de votre étude, la migration, une opportunité ou un fléau ?
Tout d’abord, permettez que je précise que le rapport de notre étude est essentiellement narratif, parce que basé sur des expériences factuelles des migrants que nous avons directement recueillies, au lieu que ce ne soit des chiffres sur l’état du phénomène. Vu qu’il s’agit d’une migration internationale qui concerne du coup plusieurs pays, c’est difficile de trouver des chiffres qui soient exacts. Nous avons donc voulu mettre le focus sur les voies des migrants.
Pour revenir maintenant à votre question, on a choisi ce titre parce qu’il élargit un peu plus cette discussion pour permettre de regarder un peu plus les mouvements des jeunes et les mouvements des peuples dans la région. Il est établi qu’il y a dans les deux régions (Afrique de l’ouest et Afrique centrale), 12 millions de personnes qui traversent des frontières chaque année. Naturellement, on peut cibler les jeunes qui vont en direction de l’Europe en passant par la Libye. Il est évident que ces jeunes-là sont à la recherche d’opportunités. Mais au même moment, il y a beaucoup d’autres jeunes qui traversent des frontières en se rendant dans des pays voisins ici en Afrique de l’ouest ou en Afrique centrale. Ceux-là aussi sont à la recherche d’opportunités. Donc, il y avait le besoin de prendre en compte cette interprétation plus inclusive des expériences plus représentatives de la migration dans les deux régions. Bien sûr, les gens bougent pour des raisons diverses et variées. Mais généralement, toutes les raisons ramènent à cette quête de plus d’opportunités. Et c’est pourquoi nous avons retenu ce titre. Surtout que nous avons aussi voulu éviter de réduire la question à sa dimension dramatique et obsessionnelle avec tout ce qui se passe en Libye notamment. On a voulu un peu équilibrer le dialogue afin d’intégrer les réalités de la plupart des gens qui voyagent.
Vous dites donc que sur les 12 millions de migrants en provenance de ces deux régions chaque année, on a 7 millions d’enfants. Peut-on savoir ce qui pousse autant d’enfants à se lancer dans la migration ?
Quand on fait des estimations, on se rend compte qu’environ 60 % des groupes de migrants dans les deux régions sont des enfants. Quant à savoir ce qui pousse les enfants à migrer, c’est plutôt complexe comme question. En fait, il y a plusieurs raisons qui poussent à se lancer dans la migration.
Quelles sont alors les raisons principales ?
Je crois qu’il y a deux types de migrations qu’il faut distinguer ici. Tout d’abord, la majorité des migrants, ce sont ceux qui se déplacent à l’intérieur de la région africaine. Il y a des raisons propres à ce premier type. Mais je pense que votre question a davantage trait à ceux qui vont en Libye et qui tentent d’aller en Europe. Là, je peux vous dire que sur la base de l’entretien que j’ai eu avec une cinquantaine d’entre eux, une des raisons principales, c’est bien évidemment la recherche de l’argent en vue d’aider la famille. De fait, dans les familles, les garçons surtout sont soumis à une énorme pression dans le sens de les inciter à venir en appui à la famille. On a aussi identifié au titre de ces raisons un facteur plus subtil. C’est le fait que les deuxièmes et troisièmes garçons qui pensent bénéficier de moins d’estime et de considération de la part de la famille, se lancent dans la migration en vue de trouver les moyens qui les aideraient à conquérir cette estime et cette considération. Ils sont dans une dynamique de compétition avec leurs frères ainés. Il y a aussi beaucoup de migrants, en Gambie principalement, qui m’ont expliqué qu’ils sont à la recherche de l’éducation. Pour eux, la question, ce ne sont pas que les biens matériels ou l’argent. Bien entendu, comme tous les autres, ils aimeraient aussi gagner de l’argent et venir en appui à la famille. Mais la raison fondamentale de leur départ en Gambie, c’est la faible qualité de l’éducation. C’est parce que le niveau de formation en Gambie n’a rien à voir avec celui qu’ils espèrent avoir en Italie ou en Allemagne. Donc, il y a certainement une motivation liée à l’éducation. Ils fuient des universités qui sont souvent en grève, qui évoluent dans un environnement de précarité (peu équipées ou manquant de documentation) et qui ne peuvent pas leur garantir le niveau de formation qu’ils veulent.
Quel est l’âge moyen et la proportion des filles parmi ces enfants migrants ?
Là aussi, il faut dire qu’on n’a pas de chiffres exacts. Mais les migrants avec lesquels j’ai personnellement discuté et sur la base des témoignages qu’on a reçus, on peut dire que l’âge moyen se situe plutôt autour de 19-20 ans.
Nous parlons surtout des 7 millions d’enfants… ?
Dans ce cas, c’est difficile de donner un âge moyen, vu que le nombre est énorme. Je peux juste vous dire, en m’appuyant une nouvelle fois sur les entretiens que j’ai directement eus avec des jeunes du Sénégal, de la Gambie, du Mali, de la Guinée, de la Sierra Léone et d’ailleurs, que ce sont des jeunes ou des adolescents dont l’âge se situerait autour de 17-18 ans. Par contre, la majorité, ce sont des garçons. Tout le monde sait bien qu’il y a des risques extrêmement élevés pour des jeunes filles qui feraient ces voyages. Des risques de violence sexuelle notamment.
De votre étude, on apprend que moins de 20 % des migrants en provenance de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale parviennent à atteindre l’Europe. Que deviennent les autres ?
Vous touchez-là à un des principaux messages de l’étude. Il s’agit de prendre en compte cette grande majorité qui reste dans la région. Parce que cela veut dire que chaque année, il y a ces quelques 75 % qui arrivent dans les différents pays de la sous-région. Ce qui sous-entend qu’il y a toujours une pression sur le système social (éducation, santé, protection sociale, etc.). Or, dans ces différents pays, ces systèmes sont souvent faibles, avec très peu de moyens et ne sont pas équipés de manière à absorber cette vague migratoire. C’est une des préoccupations majeures qui ressort de cette étude. Parce que cette pression sur des systèmes déjà suffisamment faibles, cela accroit les risques pour les enfants.
Pour en revenir aux enfants, à quels risques sont-ils exposés sur le chemin de la migration ?
En parlant avec cette catégorie de migrants qui restent dans les pays des deux régions (Sénégal, Mauritanie, Niger, Côte d’Ivoire, etc.), on se rend compte que les risques sont nombreux. Tout d’abord quand on arrive dans une ville avec un enfant, il n’y a aucune garantie que les parents vont envoyer cet enfant à l’école. Parce que souvent les parents ne parlent pas la langue locale, ont peur d’être arrêtés par les autorités du pays en question ou ne savent même pas qu’il y a une école dans les environs pour y envoyer l’enfant. Donc, les risques peuvent être liés à l’accès à l’éducation et aux services de santé notamment. Dans le rapport, il y a l’histoire d’un enfant du nom de Christophe (en Côte d’Ivoire), qui habite dans le marché. Comme lui, il s’agit d’enfants très pauvres qui n’ont pas les moyens d’aller consulter un médecin. Bref, quand on sort du système social de la famille, les risques sont nombreux. Vous savez bien qu’en Afrique, le système primaire de protection de l’enfant, c’est la famille. Du coup, quand on sort de ce système de protection et on entre dans un autre pays, les enfants sont bien sûr plus vulnérables. Parce qu’il leur manque l’oncle, la tante, les cousins et tous ceux, normalement, s’occupent d’eux. Pour nous, la révélation de ces chiffres nous pousse à nous poser des questions. On se demande notamment s’il ne faille pas étendre les systèmes de protection de telle sorte qu’ils prennent en charge ces nouvelles problématiques posées par la migration.
Vous dites qu’en tenant compte de l’explosion démographique et de la faiblesse des systèmes sociaux dans de nombreux Etats d’origine des migrants, la tendance est à l’augmentation des effectifs. Alors que faut-il pour enrayer cette spirale ?
Oui, c’est l’autre préoccupation que révèle l’étude. Comme vous l’avez remarqué, avec l’exposition démographique et les impacts du changement climatique, il y a une forte probabilité que le phénomène migratoire se poursuive en s’amplifiant. Pas nécessairement en direction de l’Europe, mais dans les autres pays africains. Les gens vont fuir la sécheresse, les inondations et les zones à forte densité de population, pour aller vers des villes proches de la mer, et conséquemment également vulnérables au changement climatique. C’est ce qui nous préoccupe au niveau de la communauté internationale et en tant qu’êtres humains. C’est-à-dire tout d’abord éprouver de la compassion pour ces jeunes et plus largement pour tous ceux qui se retrouvent dans ce fléau de la migration. Maintenant, que faire pour arrêter la spirale ?
Il faut mettre en place un système qui priorise les enfants. En gros, ça se ramène à ce que, dans le rapport, nous avons appelé l’agenda pour les actions, dans lequel on retrouve six points développés avec l’équipe à New York et qui s’inscrivent dans une dynamique de campagne mondiale. On demande à tous les gouvernements de suivre ces six points pour développer des systèmes qui soient plus résilients et qui soient plus ciblés sur les enfants. Entre autres, cela revient à :
- Veiller à ce que les enfants ne soient pas séparer de leurs enfants.
- Mettre en place des systèmes où tous les enfants migrants peuvent accéder à l’école.
- Adopter des règles très claires qui stipulent qu’on ne met jamais les enfants en prison. Nous insistons particulièrement sur ce point parce qu’aussi logique que soit cette recommandation, nous avons répertorié de nombreux cas où les enfants sont mis en détention.
- Il faut aussi adresser les questions de racisme, de xénophobie et de discrimination
- On demande aussi aux gouvernements d’aller un peu plus en profondeur dans la recherche des causes de la migration (pauvreté, prévention ou adaptation au changement climatique, etc.)
ledjely