C’est devenu courant de voir, dans les lycées et collèges, jusqu’à l’université, des élèves célébrer leurs enseignants. La tendance consiste en des poèmes ou messages lus en classe, des cadeaux offerts quand le professeur ne s’y attendait pas. Ce sont souvent des surprises ou des mini célébrations d’anniversaires préparées à l’avance avec l’assentiment du professeur, à l’heure du cours. Ainsi, les vidéos et images sont partagées sur les réseaux sociaux, chacun y allant de son commentaire.
Je devrais d’emblée souligner que j’ai beaucoup hésité avant de me décider à écrire ces lignes. Et croyez-moi, j’hésite toujours pour la simple et bonne raison qu’aucun cadeau ou mot n’est de trop pour montrer sa gratitude à ces vaillants enseignants qui, de la maternelle à l’université, abattent un travail titanesque et se donnent corps et âme pour former ce que la nation a de plus cher, à savoir sa jeunesse. J’ai eu à écrire un article intitulé « À mes enseignants de l’élémentaire : certificat de service bien effectué », publié dans le journal Le Quotidien. C’était ma façon de leur montrer ma reconnaissance pour tout. Qui plus est, je connais, parmi ces professeurs célébrés par leurs élèves ou étudiants, des hommes et des femmes exemplaires qui méritent tous les honneurs, certains étant d’ailleurs des amis. Juste pour vous dire que j’ai longuement réfléchi avant d’écrire sur ce sujet.
Si je me suis finalement décidé, c’est parce que je pense que, bien que louable, motivant et touchant, voir des élèves montrer leur reconnaissance à leurs professeurs me pose des problèmes quant à la forme et au format, et suscite chez moi quelques craintes :
– Risques de problèmes de bas étage entre collègues célébrés et « non célébrés », ce qui n’est jamais bon pour l’environnement pédagogique. Le collège ou le lycée est une équipe, et tous les
professeurs, avec leurs matières, contribuent à la réussite des élèves. Toutes les matières se valent, après tout.
– Le droit à l’image est souvent bafoué lorsque nous autorisons la prise de photos et de vidéos. Rappelons-nous que, dans les classes, certains n’aiment pas être filmés ou pris en photo. Que dire de la publication de leurs images sans leur consentement ?
– Concernant les cadeaux, je pense que la forme peut mettre la pression sur une certaine catégorie d’élèves qui n’ont pas les moyens de participer. De plus, je crains que le professeur qui reçoit tous ces « terangaas » ait par la suite des difficultés à rester objectif avec ses élèves, surtout lors des évaluations.
Nous ne sommes pas des robots, n’est-ce pas ? Pire encore, dans bien des cas, certains élèves sont capables de complots visant à corrompre moralement les enseignants ou à faire du « gaaruwaale » : refuser d’offrir des cadeaux à un professeur perçu comme « méchant ».
– Enfin, je pense que, l’heure de cours devrait servir à autre chose qu’à célébrer un anniversaire, même celui du chef.
Encore une fois, si j’aborde ce débat, c’est uniquement pour prévenir certains collègues à qui je ne souhaite que du bien, afin qu’ils évitent de tomber dans des travers. Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions dit-on souvent. Chaque année, je reçois des messages de reconnaissance très touchants qui peuvent presque faire verser des larmes, mais je les garde pour moi. Et je ne suis pas le seul. Pour ma part, comme beaucoup de collègues, je n’autoriserai jamais mes élèves à organiser ce genre de manifestations, surtout en classe, pour les raisons
susmentionnées et bien d’autres.
Bon débat !
Saliou Yatt, professeur d’anglais au lycée de Dodel (Podor)
yatmasalih@gmail.com